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écrituriales, le blog
30 mars 2021

Anglicismes ravageurs : un trou dans la Manche...

A l'heure où les foires au vin ne vendent plus les bons vieux "cubis" mais des bags in box, l'invasion de l'anglais continue à faire des ravages.

Et pas seulement auprès des "sacs à vin" qui n'ont plus droit de cité !

Un trou dans la Manche

Cela prouve bien qu'entre l'Angleterre conquérante et la France linguistiquement soumise, il y a un trou dans la Manche.

C'est pourquoi il m'a semblé charitable de vous faire partager l'article instructif du Figaro Madame qui, quand on le poste sur net, devient automatiquement le Figaro Nénette.

Et j'ai d'autant plus de plaisir à le publier qu'il est largement inspiré du travail de Jean Maillet, le grammairien et lexicographe qui m'a fait l'honneur de préfacer "Hip, hip Hyppolite".

Nul doute que cela devrait intéresser les écriturialistes qui ne peuvent plus voir l'invasion anglo-saxonne dans notre langue en peinture  !(dessin de Pierre Fouillet)

ecriture4Et le comble est que Jean Maillet a été, comme plusieurs écriturialistes y compris votre blogueur.. prof d'anglais!

N'est-ce pas, Donatien? N'est-ce pas Françoise?

En tous cas, merci Jean pour cette contribution à la lutte contre l'invasion des anglicismes ravageurs en deux temps: d'abord l'article du Figaro puis le plaidoyer de Jean Maillet pour écrituriales.

20210226_150801 bisL'article du Figaro Madame sur interNénette.

"On connaît les «pitchs», on a l'habitude de «débriefer» après une réunion ou de «forwarder» des emails. Mais d'autres anglicismes, moins évidents et peut-être plus ravageurs encore, se glissent dans nos conversations professionnelles. Et effacent petit à petit de la langue française leurs équivalents, nombreux et plus précis.

«Bonjour, merci à tous d'être là. On a un vrai sujet avec ce dossier. À date, on n'a reçu que la moitié des assets alors que la campagne de communication démarre dans une semaine. On ne sera pas en capacité de délivrer à temps. C'est juste impossible. Vu la situation, ça ne ferait pas sens de maintenir la date de lancement initiale.» Quatre lignes, sept anglicismes. Il n'est pas sûr que vous sachiez tous les identifier, mais ils sont bien là. Plus ou moins visibles et plus ou moins ravageurs, mais tous injustifiés et pourtant bien implantés dans nos conversations professionnelles.

«Certains anglicismes sont utiles et légitimes parce qu’ils nomment un objet ou une idée qui vient du monde anglo-saxon et pour lequel nous n'avions pas de mot français, comme "bulldozer" ou "drone", souligne le grammairien et lexicographe Jean Maillet. D'autres sont illégitimes en ce qu'ils remplacent des mots français existants.»

"Des mots qui mangent notre lexique"

Pire : un seul anglicisme aspire souvent plusieurs mots français. Comme lorsque vous essayez de «booster» une présentation au lieu de chercher à la stimuler, la dynamiser, vivifier, doper ou renforcer. Ou lorsque vous dites à votre chef que vous avez besoin de «faire un break» plutôt que de faire une pause, de changer d'air ou de vous mettre au vert. «Je qualifie ces anglicismes de "lexicophages", poursuit Jean Maillet : ils nous empêchent d'utiliser des mots plus précis et, surtout, "mangent" notre lexique. Or, un mot inutilisé finit par disparaître, fatalement.»

Bien sûr, il y a ceux que l'on identifie tout de suite - «forwarder», «débriefer»... Mais d'autres, plus sournois, s'invitent dans le monde professionnel et, au passage, boutent toute une série d'expressions françaises, pourtant plus justes, hors de nos salles de réunions et de nos emai... de nos courriels. Des anglicismes qui, parés d'une apparence faussement tricolore, arrivent même à faire oublier qu'ils ne veulent rien dire.

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"À date"

Combien de présentations ou de points de suivi commencent ainsi ? «Voilà, à date, où nous en sommes.» C'est-à-dire, quelque part au milieu de la Manche - ou de l'Atlantique -, à mi-chemin entre le Royaume-Uni et la France. Car si ces deux mots sont français, ils sont accolés à la mode de chez nos voisins. Si les anglophones disent bien «to date», la traduction française mot à mot n'a en réalité aucun sens, grammaticalement parlant. Elle prend seulement la place d'autres tournures, comme «jusqu'à maintenant», «jusqu'à aujourd'hui» ou «à ce jour». Qui, en plus d'être correctes, sont moins froides et moins techniques que ce glacial «à date».

"Ça fait sens"

Eh bien non, précisément : dire «ça fait sens» n'en a aucun. «Je pense qu'on utilise ce type de tournure par snobisme, souligne Jean Maillet. On pense que cela fait bien, qu'il vaut mieux dire "ça fait sens" que "cela a du sens", que cela traduit notre appartenance à une certaine classe sociale.» L'expression est bien entendu calquée sur «to make sense», si couramment entendu dans les séries et les émissions américaines (la forme négative surtout «it doesn't make any sense !»), mais elle sonne, à tort, aussi française que «faire peur», «faire signe» ou encore «faire plaisir». Sauf que non : en français, rien ne «fait» sens. Une idée ou une proposition a du sens, ou prend tout son sens.

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"Être en capacité de" ou "en charge de"

«Je ne suis pas en capacité de t'apporter ces informations. Jean, en charge de ce dossier, pourra sûrement te renseigner», vous répond une collègue par courriel. Voilà une manière bien alambiquée de vous dire «je ne sais pas, Jean pourra t'aider». Pourquoi donc ces deux tournures se sont-elles glissées dans sa réponse ? Eh bien, parce qu'elles sont toutes les deux nées des mêmes confusions : d'abord un calque sur l'anglais «to be in charge of», puis un mélange des genres entre plusieurs structures françaises.

«Être en capacité de» mêle ainsi «être capable de» et «avoir la capacité de». Imaginez un collègue vous expliquer qu'il «n'a pas capable de vous aider». Cela vous choque ? Qu'il ne soit pas en capacité le devrait aussi. De même, on est chargé d'un dossier ou on a la charge d'une fonction. Au passage, tâchons d'oublier aussi le fameux «être en responsabilité», aussi alambiqué qu'incorrect.

"Avoir" et "adresser un sujet"

Ces deux-là sont le fruit d'une confusion multiple. Retournons au point de départ. «Sujet, n.m. Ce sur quoi s'exerce (la réflexion). Sujet de : ce qui fournit matière, occasion à (un sentiment, une action).» Exemples : un sujet de dispute, des sujets de méditation, nous dit Le Robert. «Issue (noun) : topic of discussion, problem, worry», nous apprend l'Oxford Dictionary. Lorsqu'on estime «avoir un sujet», sans plus de précisions, on emploie en fait un mot-valise pour dire tout à la fois «problème», «question qui appelle une réponse», «sujet de discussion»... Des tournures visiblement trop longues pour tenir dans un courrier électronique ou pour passer la porte d'une salle de réunion. On a donc un «sujet» qu'il est temps «d'adresser», calque de «to adress something», «s'occuper d'un problème».

"Juste"

«Ce client, c'est juste l'enfer», «les délais sont trop courts, c'est juste impossible», «notre partenaire était ravi, c'était juste extraordinaire». «On fait face à une invasion de "juste" !», s'offusque Jean Maillet. Un petit mot, utilisé pour son effet d'emphase en anglais - «it's just prodigious» - qui s'infiltre partout, jusqu'à mener à des contre-sens absolus. «On entend ainsi "c'est juste faux"», souligne notre grammairien. «Juste», «faux». Deux termes qui n'ont pas grand-chose à faire côte à côte et auxquels on préférera «vraiment», «tout bonnement» ou «tout simplement faux».

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"Alternative"

Si, dans votre esprit, une alternative est un plan B, vous pensez en anglais sans le savoir. «C'est là le sens anglais de "an alternative", souligne Jean Maillet. En français, il s'agit d'un choix entre deux choses.» Entre le plan A et le plan B, donc.

"Initier un projet"

«On utilise ce verbe pour "entreprendre", "lancer" ou "amorcer", indique Jean Maillet. Alors qu’en réalité, en français, on initie quelqu’un, à une discipline, par exemple. Avec cet anglicisme, on a dépouillé le mot "initier" de sa signification.»

Franciser plutôt que calquer

Au passage, sont oubliés une ribambelle de synonymes. Au risque de les perdre, comme ceux occultés par bon nombre d'anglicismes. «Nous devons prendre conscience que notre langue risque de disparaître, avertit Jean Maillet. On m'oppose souvent un argument : une langue est vivante, elle évolue et a toujours emprunté aux autres. Je répondrais que, si une langue est vivante, il ne faut pas la tuer. L'emprunt d'un mot qui n’est pas nécessaire n’est pas un enrichissement, mais un appauvrissement.» Ramener la langue de Molière dans l'open space, voilà donc le prochain sujet à adresser."

 

indexLe plaidoyer de Jean Maillet, grammairien et lexicographe

HALTE AUX ANGLICISMES !


   J'ai été professeur d'anglais pendant vingt ans. Que j'aime la langue anglaise est donc une évidence. Elle est belle à entendre, précise pour dire la matérialité, celle qui est perçue par nos sens : Il suffit de considérer la quantité de verbes exprimant les différentes façons de regarder, la très grande variété de ceux qui désignent les bruits, etc. Le français en revanche est inégalé dans les domaines de la pensée. Il est également réputé pour sa clarté. Bref, chaque langue a ce que l'on appelle son "génie", c'est-à-dire ses caractéristiques propres. Quelle idée saugrenue de vouloir les "mélanger"! Ce qui se dit en anglais est tout à fait différent de ce qui se dit en français pour exprimer la même chose.

Ainsi s'expliquent les difficultés rencontrées dans le domaine de la traduction. Ainsi l'on comprend l'adage selon lequel traduire, c'est forcément trahir. Ainsi se justifie mon horreur des anglicismes. Ce sont des intrus, des corps étrangers, à moins qu'il n'aient réussi leur acclimatation. Je fais toutefois un distinguo entre les anglicismes que j'appelle "légitimes", ceux que je qualifie de "lexicophages" et ceux, machiavéliques, qui se glissent incognito dans nos discours.

Vintage et vendange

Dans l'article du Figaro Madame faisant suite à l'interview que j'ai récemment accordée au journaliste Sofiane Zaizoune, il est plus particulièrement question de sept anglicismes employés dans le monde professionnel. N'oublions pas pour autant que les anglicismes envahissent bel et bien toutes les catégories de la langue française. Même les anglicismes légitimes y ont un caractère intrusif parce que, d'une part, ils surprennent et peuvent ne pas être compris, et d'autre part, parce qu'ils sont, le plus souvent, mal lus ou mal dits. Le mot vintage par exemple dont on peut admettre qu'il n'est pas vraiment traduisible (les mots français proposés ne disent pas exactement tout ce que vintage signifie) est systématiquement prononcé avec une énorme diphtongue sur la seconde syllabe alors que cette syllabe est inaccentuée (l'accent porte sur la première). Pourquoi ne pas le bien prononcer ou le dire à la française, d'autant que vintage vient de "vendange"?

   Nous vivons dans une époque où tout doit aller vite, y compris l'évolution de notre vocabulaire, alors les mots anglais que l'on emprunte demeurent ce qu'ils sont, s'incrustent tels quels et ils font tache. La plupart des emprunts à l'anglais sont comme des immigrés qui ne chercheraient nullement  à s'adapter dans le pays d'accueil. Jadis, quand on prenait le temps de vivre et de parler, des anglicismes anciens que l'on ne remarque plus se sont transformés afin de correspondre au "génie" de la langue française, ils se sont francisés : paquebot (packet boat), redingote (riding coat), boulingrin (bowling green), contredanse (country dance), coqueron (cook-room), pannequet (pan cake), etc. Nous pourrions nous efforcer aujourd'hui de donner un aspect français aux mots qui nous viennennt d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique, ne serait-ce qu'en leur donnant une terminaison idoine comme scanneur, mixeur, teaseur, marquetique, ou en adaptant la graphie à notre prononciation comme scoupe, etc.

La mouche du coach

L'anglicisme nous empêche de recourir au mot français équivalent, pourtant disponible et souvent plus précis. Ce faisant, il met au rancart non seulement le mot français lui-même mais aussi tous ses synonymes. Ainsi, tout un pan de notre lexique est appelé à disparaître dès l'instant qu'il se trouve rejeté dans les oubliettes du vocabulaire passif. Un exemple : le mot coach emprunté du français "coche" lui-même emprunté du vénitien cochio qui l'a emprunté au hongrois kocsi désignant un relais de poste (village entre Pest et Vienne). Dire coach nous prive de dire entraîneur, mentor, conseiller, guide, tuteur, accompagnateur, répétiteur, moniteur, instructeur ou précepteur. Dire ""Il a fait le buzz" nous frustre de "Il a defrayé la chronique", "Il a créé l'événement" ou "Il est à l'origine d'une agitation médiatique". Quel dommage!

Il y a enfin les anglicismes sournois, furtifs, insidieux qui sont des mots parfaitement français mais auxquels on donne la signification du mot anglais correspondant : alternative, définitivement, initier, juste, opportunité, supporter, etc.

Alors, pour la précision et la clarté de notre discours, pour sa cohérence et sa compréhension, pour éviter le ridicule d'une prononciation déplorable, pour ne pas être taxé de snobisme, pour préserver la variété de notre lexique, et surtout pour sauvegarder notre langue française dans sa pureté et sa richesse, n'utilisons plus d'anglicismes et dénonçons ceux qui en usent et abusent, notamment les médias et les publicitaires.
                               

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Jean Maillet

Pour découvrir ses livres en deux clics:

https://www.fnac.com/ia164604/Jean-Maillet

https://www.editionsopportun.com/auteur/1/jean-maillet

Pas question de clore cette longue et instructive chronique anti-anglicisme par "Game over" ou "The end".

Le mot de la fin est pour notre dessinateur Kayo.

 

Commentaires
D
Article particulièrement intéressant sur les crypto-anglicismes, souvent les grands oubliés dans ce combat.
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