G comme Ginette, G comme Généa 79
Ginette Savariaux est une nouvelle écriturialiste qui trouve "sympa" le fonctionnement de l'association.
Elle nous envoie un de ses textes publié dans Généa 79 que le blog se fait un plaisir de publier pour le partager avec les lecteurs.
Bienvenue Ginette sur www.ecrituriales.canalblog.com
M comme Moment d’enfance… Moment intense !
Un article de Ginette SAVARIAUX
La petite fille est là, debout, elle regarde et écoute sans comprendre ce qu’il se passe.
Ses cousins sont venus la chercher à l’école communale de La Couarde avant l’heure de la sortie à midi, ils ont leurs deux garçons, un peu plus jeunes qu’elle avec eux.
Avec ses grands-parents et sa grand-tante Agathe, ils sont regroupés non loin du fumier dans l’ouche qu’elle connaît si bien, où elle joue et récite ses leçons sous le grand marronnier qui tend déjà ses grappes au printemps prometteur.
La préoccupation n’est pas comme d’habitude, ce n’est ni le fumier, ni les récoltes qui les animent ; alors pourquoi ces rires non habituels, pourquoi ces pleurs mêlés aux trémolos de leurs voix ?!
Elle reste là, au même endroit, ses petits pieds chaussés de sandalettes que ses sœurs ont déjà bien modulées, sont bien plantés au sol sur l’herbe qui aurait besoin d’être coupée au dail. Ses mains, la gauche est dans sa poche de blouse à carreaux, la droite caresse les cheveux blonds de son petit cousin qui comme elle ne bouge pas…
Tous ses sens sont en éveil mais c’est surtout ce qu’elle voit et ce qu’elle entend qui la frappe.
C’est tellement nouveau, tellement inattendu, alors elle capte, capte comme elle a toujours fait depuis sa naissance, un peu comme une éponge qui absorbe tout. La différence réside dans le fait que cet « avant », elle n’en a pas conscience… mais là, ce moment est si fort qu’il en devient fondateur !
Son regard se porte sur ses grands-parents et sa tante « Titine » comme tout le monde l’appelle. Comme ils ne la regardent pas, elle peut à son aise détailler leurs visages, leurs comportements.
Eux, si discrets, si mesurés dans leurs paroles et dans leurs gestes, se mettent à gesticuler jusqu’à en sauter de joie… leurs yeux disent mieux que des mots toute la délivrance, tout leur espoir et la joie qui va renaître. Leurs mains s’agitent au bout de leurs bras qui deviennent démesurés et forment de grands cercles dans l’espace, comme s’ils voulaient englober leurs passés, leurs peines et tout balayer, tout envoyer « valser » dans un tourbillon frénétique…
Au bruit de cette petite cacophonie dont elle comprend juste « finie » viennent s’ajouter un bruit plus lointain de cloches qui d’ordinaire n’est pas vraiment perçu dans ce petit village. Ce sont bien celles de La Mothe-Saint-Héray qui, se mêlant à tous les clochers environnants, permettent aux sons de venir jusqu’à eux, passant au dessus de la forêt de l’Hermitain.
Enfin délivrée, la petite fille de 6 ans ½ sort de sa bulle et entend toute la phrase : « la guerre est finie, la guerre est finie » répétée à l’infini pour elle !
Nous sommes le 8 mai 1945, la France avait gagné contre les Allemands et se préparait un avenir nouveau !
Photo, source familiale
Mais la petite fille ne pourra décrire la suite, elle se souvient juste de la fête du 14 juillet, du bal qui a suivi et du théâtre le lendemain, dimanche 15.
Sa scolarité va continuer, la semaine chez ses grands-parents, le samedi, dimanche et jeudi chez ses parents à l’Hermitain, son lieu de naissance.
Une vie toute autre, son père exploitant forestier travaillait beaucoup et était souvent absent, sa mère s’occupait de l’intendance d’une famille de quatre enfants dont elle était la plus jeune, nourrissait du personnel, recevait les clients et tirait aussi quelques vaches et chèvres qui permettaient de faire de si bons fromages et « tartes à la bouillie » inimitables… Cette mère ne montrait jamais sa fatigue et les enfants bien que dissipés restaient obéissants, alors cette petite dernière vivait sa vie tranquille… scandée par le bruit de la scie, les sauts dans le tas de sciure et la pêche au gardon dans la mare qui prolongeait la source et le lavoir !
La guerre finie, le plan Marshall ayant relancé l’économie, les années cinquante s’envolèrent en même temps que chaque enfant de son nid.
Cette petite fille devenue une grande jeune fille fit comme tout le monde à la campagne à cette époque où peu de filles travaillaient : elles se mariaient, avaient des enfants et étaient de bonnes ménagères. Quelques unes devenaient couturières, une par village.
Les années passant, famille, enfants, travail, réussite ou non, vint ensuite après la perte des grands-parents celle des parents, le questionnement et les découvertes dans les archives familiales puis départementales.
Arrivée à la retraite, la petite fille vint lui demander des comptes. Elle voulait comprendre ce qu’avaient vécu ses parents et tous ses ancêtres, quelles avaient été leurs peurs, leurs souffrances dont elle gardait seulement leurs regards tristes et leurs tenues de satinette noire, leurs pantalons de grosse serge, toujours les mêmes…
Elle sut alors que son père avait perdu un frère aîné, disparu à Verdun dont la photo l’avait quelque peu hantée, alors que la mère avait déjà perdu son père et un frère morts en creusant un puits en 1900 lors d’une sécheresse. Elle comprit qu’un grand-oncle maternel avait survécu seulement quelques années après cette horrible guerre de 1914-1918, il avait brillamment servi en tant que brancardier.
Au cours de la deuxième guerre de 1939-1945, elle sut également que son père avait fait travailler des STO qui ne souhaitaient pas partir en Allemagne ; il aurait pu se faire arrêter et sa famille avec, elle entendit même dire que sa sœur avait mission de les emmener à la fontaine si les Allemands arrivaient…
Riche de toutes ces informations, elle réalisa pourquoi dans sa famille on parlait peu, pourquoi on ne faisait pas la fête, juste des repas de famille.
Elle comprit pourquoi ces souffrances non dites devaient préserver l’innocence de leur progéniture, elle comprit leurs silences, seulement quelquefois des chuchotements lors des préparatifs pour faire les conserves.
Quelques années plus tard, l’évidence se fit jour comme une obligation, une exigence de transmettre ce qu’elle avait trouvé, découvert et comprit.
Alors elle se mit à écrire.
Écrire afin de mettre de l’ordre dans ses idées et de figer celles-ci sur le papier pour ne rien oublier en vieillissant.
Écrire afin ensuite de partager avec tous ceux qui seraient intéressés.
Écrire comme un hymne et en hommage à tous ses ancêtres.
Retrouver son pays natal, ce sol, ce lieu, cette forêt dont elle est issue…c’est comme si un aimant l’attirait encore et toujours !
La petite fille qui reste toujours tapie au fond de son être souhaite ardemment vous encourager à retrouver des moments aussi riches et fondateurs !
Ginette Savariaux